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Centre de recherche sur la mondialisation et Le soleil (Québec), édition sur ligne, mardi 1 mai 2007

L'Afghanistan et l'Irak : c'est la même guerre

De David Orchard et Michael Mandel

Il y a quatre ans, les États-Unis et la Grande-Bretagne déclaraient la guerre à l'Irak, pays du tiers monde pratiquement sans défense, dont la superficie représente à peine la moitié de la Saskatchewan.

Pendant les douze années qui ont précédé l'invasion et l'occupation de son territoire, l'Irak avait été la cible de bombardements américains et britanniques quasi hebdomadaires et des sanctions économiques les plus sévères de l'histoire, dont les « premières victimes » avaient été, au dire du Secrétaire général de l'ONU, « les femmes et les enfants, les pauvres et les malades ». Selon l'UNICEF, un demi-million d'enfants sont morts de faim et de maladie à cause de ces sanctions.

En mars 2003, les États-Unis et la Grande-Bretagne – qui possèdent à eux deux encore plus d'armes de destruction massive que tous les autres pays réunis – ont attaqué l'Iraq sous toutes sortes de prétextes fallacieux, avec des missiles de croisière, des bombes au napalm et au phosphore blanc, des bombes à fragmentation et anti-blockhaus, et des munitions à uranium appauvri (armes UA).

Selon une étude publiée l'an dernier dans la revue médicale britannique The Lancet, la guerre en Irak aurait fait 655 000 victimes depuis 2003, chiffre époustouflant que les gouvernements américain et britannique sont prompts à réfuter alors que la méthodologie utilisée est validée par bon nombre de scientifiques (y compris le principal conseiller scientifique du gouvernement britannique).

Le 11 avril 2007, la Croix Rouge a publié un rapport intitulé : « Civils sans protection – Aggravation de la crise humanitaire en Irak », où les auteurs décrivent « d'incroyables souffrances » et lancent un appel « urgent » pour « que soit respecté le droit humanitaire international ». Andrew White, pasteur de l'Église anglicane à Bagdad, a même ajouté que « la réalité est cent fois pire que ce que l'on voit sur les écrans de télévision…».

Selon l'ONU, deux millions d'Irakiens auraient été « déplacés à l'intérieur du pays », et deux millions se seraient enfuis, notamment vers la Syrie et la Jordanie, créant une surcharge considérable pour les infrastructures des pays d'accueil.

Une attaque comme celle qui a été lancée contre l'Irak, qui n'était ni motivée par l'auto-défense ni autorisée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, constitue, pour reprendre les termes employés par le Tribunal de Nuremberg qui a condamné les nazis, « le crime international suprême ». Selon Robert Jackson, procureur en chef du Tribunal et juge à la Cour suprême américaine, une telle guerre est tout simplement un massacre collectif.

La plupart des Canadiens sont fiers que le Canada ait refusé d'envahir l'Irak. Mais s'agissant de l'Afghanistan, on leur ressert les mêmes plaidoyers chauvinistes qu'à propos de l'Irak il y a quatre ans. Comme si l'Irak et l'Afghanistan étaient deux guerres distinctes, l'Afghanistan étant la « bonne » guerre, la guerre juste et légitime.

En réalité, l'Irak et l'Afghanistan ne sont qu'une seule et même guerre.

Depuis le tout début, l'administration Bush considère la guerre en Afghanistan non pas comme une réponse défensive aux événements du 11 septembre 2001 mais comme l'occasion d'opérer un changement de régime en Irak (voir à ce propos l'ouvrage de Richard A. Clarke, Against all Enemies), et c'est pour cette raison que les résolutions du Conseil de sécurité de septembre 2001 ne mentionnent jamais l'Afghanistan, et autorisent encore moins une attaque contre ce pays. L'attaque contre l'Afghanistan constitue donc elle aussi le crime international suprême, en causant la mort de 20 000 civils innocents pendant les six premiers mois. L'administration Bush s'est servi des événements du 11 septembre comme prétexte pour se lancer dans ce qu'elle appelle une guerre tous azimuts contre la terreur, qui est en fait une guerre de terreur puisqu'elle tue des centaines de fois plus de civils que n'en tuent les terroristes.

Le fait que le gouvernement Karzai ait été par la suite mis en place sous les auspices de l'ONU n'absout pas les alliés de l'Amérique dans cette guerre, dont le Canada fait partie. Certes, le Canada y participe dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), autorisée par l'ONU, mais cela ne doit tromper personne. En effet, dès le début, la FIAS s'est mise au service de l'opération américaine, déclarant que « le Commandement central américain exercerait son autorité sur la Force internationale d'assistance à la sécurité » (document du CSNU S/2001/1217). Lorsque la FIAS est passée sous le contrôle de l'OTAN, cela n'a rien changé, et les forces de l'OTAN relèvent toujours, au bout du compte, du commandement américain. Le « Commandant suprême » est toujours un général américain, qui relève du président américain et non du président afghan.

Quant aux forces canadiennes en Afghanistan, non seulement elles sont commandées par des Américains, mais elles libèrent des soldats américains qui sont alors envoyés en Irak pour y poursuivre leur guerre sanglante.

Lorsque les États-Unis ont saccagé le Viet-Nam, le Laos et le Cambodge (1961 à 1975), laissant derrière eux six millions de morts et de blessés, le Canada a refusé de participer. Mais aujourd'hui, le Canada est partie prenante dans une guerre qui sévit non seulement en Irak et en Afghanistan, mais aussi dans tout un réseau de centres connus ou secrets où l'on pratique la torture physique et mentale, comme à Guantanamo Bay qui, faut-il le rappeler, est une enclave illégalement occupée du territoire cubain. Il faut bien comprendre que ce que le gouvernement américain appelle « terrorisme » est en grande partie une réaction à l'occupation étrangère, et que l'occupation américaine est le moyen par lequel les riches et puissants forcent les autres pays à leur céder leurs ressources.

Le général Rick Hillier a déclaré avec vantardise que le Canada allait éliminer toute « cette racaille » en Afghanistan. Il s'est bien gardé de rappeler que les Soviétiques, avec plus de 600 000 soldats et des milliards d'aide financière, n'ont jamais réussi à contrôler l'Afghanistan. La Grande-Bretagne, à l'apogée de son empire, a essayé deux fois, en vain. Aujourd'hui, le Canada aide un autre empire sur le déclin à imposer sa volonté à l'Afghanistan.

Les Canadiens ont toujours été respectés lorsqu'ils voyagent de par le monde. Et cette réputation, nous ne l'avons pas gagnée en faisant la guerre à des pays pauvres, mais plutôt en refusant de la faire.

Le Canada doit, de toute urgence, ouvrir ses portes aux Irakiens et aux Afghans qui veulent fuir les atrocités qui sont infligées à leur pays. C'est un minimum. Nous devons cesser de prétendre que nous ne sommes pour rien dans les souffrances qu'ils endurent sous les bombes et aux mains des escouades de la mort. Nous devons refuser d'offrir notre aide, nos ressources et le sang de nos enfants à cette guerre sans fin contre le Tiers monde.


Michael Mandel est professeur de droit international à Osgoode Hall, York University, à Toronto et l'auteur de How America Gets Away With Murder: Illegal Wars, Collateral Damage and Crimes Against Humanity. On peut le joindre au (416) 736-5039 ou à Mmandel@osgoode.yorku.ca

David Orchard s'est présenté deux fois à la direction du Parti progressiste conservateur du Canada et est l'auteur de Hors des griffes de l'aigle : quatre siècles de résistance canadienne à l'expansionnisme américain. Il exploite une ferme à Borden, Saskatchewan. On peut le joindre au (306) 652-7095, ou à davidorchard@sasktel.net, www.davidorchard.com

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