David Orchard
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Globe and Mail édition internet (en anglais), le 14 juin 2004
traduit par Monique Perrin d'Arloz

La fin d'un rêve : pourquoi je ne voterai pas conservateur

de David Orchard

Le « nouveau » Parti conservateur se présente comme un parti modéré, prêt à remplacer les libéraux à la tête du pays.

Mais il faut savoir que ce parti n'a jamais tenu une seule réunion de ses membres, qu'il n'a toujours pas de constitution, que son programme politique n'a été ni conçu ni validé par ses membres, quels qu'ils soient. (Le Parti envoie actuellement des cartes d'adhésion tous azimuts, et les destinataires sont tout surpris d'apprendre qu'ils sont membres du Parti. J'ai reçu la mienne la semaine dernière!)

Le « nouveau » parti est la dernière incarnation du Parti réformiste-allianciste, qui a phagocyté le Parti progressiste conservateur en lui volant ses couleurs et la moitié de son nom. Stephen Harper a expliqué l'an dernier comment son parti s'était débarrassé du mot « progressiste » (et de son aile progressiste) : « Nous avons peut-être perdu quelques anciens conservateurs progressistes comme David Orchard, Joe Clark et compagnie, mais ce n'est pas plus mal. En formant une coalition plus homogène, nous pouvons prendre des positions plus solides, comme celle que l'Alliance a su prendre pour la guerre en Irak. »

Pour mener à bien la prise de contrôle, ils ont bafoué la constitution du Parti progressiste conservateur. Et ils ont permis à environ 20 000 membres de l'Alliance d'acheter des cartes de membres du Parti. Cette ruse du cheval de Troie a fait augmenter de 50% le nombre de membres du Parti PC. (Ces membres de l'Alliance ont ensuite voté deux fois - au vote de ratification du Parti PC et à celui de l'Alliance - d'où le résultat grotesque de plus de 90% de soutien à la fusion des deux partis!) Pour le sénateur Lowell Murray, cette opération a été un véritable « coup d'État, semblable à ce qui s'est passé dans certains pays où la constitution a été suspendue et où un nouveau régime a été installé après un rapide plébiscite ».

Aujourd'hui, le parti de M. Harper dispose d'une Escouade de la vérité chargée de dénoncer les mensonges des libéraux. Elle est dirigée par nul autre que Peter MacKay, celui-là même qui a honteusement renié sa promesse écrite de ne jamais fusionner avec l'Alliance s'il était élu chef du Parti progressiste conservateur et qui refuse toujours de dire qui lui a fait don, par la suite, d'une coquette somme pour rembourser les dettes qu'il avait contractées pendant sa campagne. Et c'est ce même parti qui fustige les libéraux pour leur manque d'éthique et leur irresponsabilité! Voter pour ce parti revient à légitimer les actions de cette clique qui n'est responsable devant personne, sinon les mystérieux personnages qui la soutiennent (le plus visible étant Brian Mulroney); cette clique qui a détruit le Parti fondateur du Canada et qui, aujourd'hui, se moque ouvertement des principes fondamentaux de la démocratie. M. Harper l'a admis en toute simplicité : le programme politique des nouveaux conservateurs sera, pour l'essentiel, ce que lui-même décidera.

Pendant des années, Stephen Harper a dirigé la National Citizens Coalition (NCC), dont la devise est « Plus de liberté, moins de gouvernement ». En 1994, alors qu'il était député réformiste, il a déclaré devant la NCC : « Voyons ce qui s'est passé au cours des cinq dernières années et commençons par le positif. Le concept de l'universalité n'est plus en vogue, il a mëme pratiquement disparu des grands secteurs de la politique publique. Le programme des allocations familiales a été supprimé et les prestations d'assurance-chômage ont été sévèrement réduites… Ces résultats sont attribuables, en partie, au Parti réformiste du Canada et… à la National Citizens Coalition. »

Devenu chef de l'Alliance, Stephen Harper a exposé en ces termes sa propre vision du système de santé : « Plusieurs provinces envisagent de mettre en place d'autres types de services de santé, même des services à but lucratif. C'est une évolution tout à fait normale. Dans un système qui fonctionne bien, le profit est la récompense des entreprises qui ont su faire des investissements substantiels à long terme. Le gouvernement fédéral doit appuyer cette initiative. »

Dans le domaine agricole, la Commission canadienne du blé, qui a été créée en 1935 par le premier ministre conservateur d'alors, R.B. Bennett, est devenue aujourd'hui, malgré l'opposition farouche des Américains, le plus gros détenteur de devises étrangères au Canada. Elle a joué un rôle primordial dans le maintien de l'industrie céréalière sous contrôle canadien et constitue l'un des derniers bastions des agriculteurs de l'Ouest. Et pourtant, Harper et ses collègues, en parfait accord avec les céréaliers américains, ne cessent de réclamer son abolition. (Tout en se présentant comme l'ami des agriculteurs, le nouveau parti s'est empressé de se porter à la défense des exploitants d'abattoirs américains que nos agriculteurs accusaient de tirer profit de la crise de la vache folle.)

M. Harper a promis d'annuler l'engagement pris par le Canada dans l'accord de Kyoto, appuyant ainsi les États-Unis dans leur opposition au seul accord international visant à réduire les émissions nocives de dioxyde de carbone. Il a l'intention de privatiser des secteurs importants de Radio-Canada et d'émasculer l'organisme de réglementation de la radiotélédiffusion, le CRTC, rendant ainsi ce secteur vulnérable à des prises de contrôle étrangères.

Et ce n'est pas tout : depuis son arrivée des États-Unis, Tom Flanagan, l'un des principaux fondateurs du Parti réformiste et aujourd'hui conseiller principal et directeur de campagne de M. Harper, ne cesse de s'en prendre aux Autochtones. Le programme politique de l'Alliance prévoyait explicitement la privatisation du système des réserves et l'assimilation délibérée des Autochtones. Dans son ouvrage intitulé First Nations? Second Thoughts, Flanagan écrit : « La civilisation européenne était en avance de plusieurs millénaires sur les cultures autochtones d'Amérique du Nord. » Il rejette avec mépris les droits ancestraux issus des traités : « La souveraineté fait partie du statut d'État, et les peuples autochtones du Canada n'avaient pas atteint ce degré d'organisation politique avant leur premier contact avec les Européens. » Si l'émule de Flanagan prend le pouvoir, les Autochtones n'auront pas le choix : ils ne pourront plus être un peuple distinct, auquel on a reconnu des droits fondamentaux.

Le 29 juin, un gouvernement conservateur minoritaire peut espérer compter sur le soutien du Bloc - mais à quel prix? Les deux partis veulent tous deux démanteler le gouvernement central et les institutions nationales et donner plus de pouvoirs aux provinces. Peu de temps avant le référendum de 1995, alors qu'il était porte-parole du Parti réformiste pour les affaires constitutionnelles, Stephen Harper a déclaré : « Que le Canada se retrouve avec un gouvernement national ou une autre structure constitutionnelle est, à mon avis, une question secondaire. » Le texte qu'il a rédigé en 2001, où il défend le projet de loi du député allianciste Jim Pankiw visant à émasculer la Loi sur les langues officielles, portait également un titre très révélateur : Bilingualism - The God That Failed (l'utopie du bilinguisme).

Le député bloquiste Yves Rocheleau préfère une victoire conservatrice parce que, dit-il, cela « serait une illustration parfaite de ce que René Lévesque décrivait comme un Canada impossible, un asile de fous, un pays impossible à administrer. »

Un Québec unilingue francophone, le reste du Canada unilingue anglophone, et aucun lien entre les deux. C'est sur ce terrain que se rejoignent le Bloc et les conservateurs; c'est sur ce terrain aussi que s'évanouissent les rêves de ceux qui se sont battus pour que le Canada soit un pays bilingue et tolérant, à la fois curieux et respectueux de la langue et de la culture de l'autre.

Lors du déclenchement de la guerre en Irak, Stephen Harper et Stockwell Day ont réclamé à cor et à cri que le Canada y participe et ont même attaqué le gouvernement canadien dans le Wall Street Journal : « Aujourd'hui, le monde est en guerre. Une coalition de pays, sous la direction de la Grande-Bretagne et des États-Unis, a entrepris une action militaire destinée à désarmer Saddam Hussein, mais le premier ministre Jean Chrétien a décidé de tenir le Canada à l'écart de cette coalition militaire. C'est une grave erreur … L'Alliance canadienne - l'opposition officielle au Parlement - appuie la position des Américains et des Britanniques. Ne vous méprenez pas… l'Alliance canadienne ne restera pas neutre. Dans l'esprit et par la pensée, nous serons avec nos alliés et amis… Mais nous ne serons pas avec le gouvernement canadien. (28 mars 2003)

Selon M. Harper, il n'y avait qu'au Québec, de tradition « pacifiste », que la majorité de la population était opposée à la guerre. Peter MacKay, aujourd'hui chef adjoint du Parti, a taxé M. Chrétien de faiblesse, d'indécision et même de couardise dans son refus de participer à cette invasion illégitime. Aujourd'hui, Harper et Day nient avoir dit cela, en espérant probablement que les Canadiens et les médias ont la mémoire courte.

Vis-à-vis de ceux qui veulent protéger la culture, l'environnement, les institutions et la souveraineté du Canada, M. Harper et ses comparses n'ont qu'une attitude méprisante, tout occupés qu'ils sont à démanteler notre pays. Ils servent des intérêts différents : ceux de M. Mulroney et de M. Bush, ceux d'un drapeau étranger.


David Orchard est l'auteur de « Hors des griffes de l'aigle - Quatre siècles de résistance à l'expansionnisme américain », et a été candidat à la direction du Parti fédéral progressiste conservateur en 1998 et en 2003. Il exploite une ferme à Borden, SK, et on peut le joindre au (306) 652-7095, ou par courriel à davidorchard@sasktel.net    www.davidorchard.com

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