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Publié en anglais dans le Winnipeg Free Press, 7 septembre, 2003

Après la panne gigantesque du mois dernier, il est temps que le Canada se dote d’un réseau national intégré

de David Orchard

La panne d’électricité qui s’est produite cet été en Ontario nous oblige à nous demander pourquoi un pays aussi riche que le Canada en ressources énergétiques bon marché en est-il arrivé à devoir importer de l’électricité des États-Unis, à des tarifs élevés, et à inciter ses citoyens à ne pas se rendre au travail pour éviter une autre panne ?

Le secteur industriel ontarien s’est durement ressenti de la pénurie d’électricité, alors que les provinces voisines ont des excédents qu’elles exportent. Pourquoi les provinces exportatrices sont-elles reliées aux réseaux électriques américains plutôt que d’être reliées entre elles pour former un réseau canadien ?

À la suite de cette panne, certains, qui ne connaissent sans doute pas bien leur histoire, préconisent une privatisation accrue de l’électricité en Ontario. Commençons par nous demander pourquoi les services publics ont été nationalisés au départ.

Au début du siècle dernier, les droits relatifs à l’eau et les centrales électriques des chutes du Niagara appartenaient à des entreprises privées américaines. Comme ces entreprises exportaient plus de 60 % de leur production électrique vers les États-Unis, au détriment des résidents et des industriels de l’Ontario, le fondateur de Hydro Ontario, Sir Adam Beck, décida d’unifier le réseau provincial et d’en faire un réseau public. Avec son slogan « Power at Cost » (l’électricité à prix coûtant), l’ardent capitaine d’industrie fit de Hydro Ontario la plus grosse entreprise publique de production électrique au monde, qui est devenue l’un des fleurons du secteur industriel nationalisé au Canada en fournissant aux Ontariens l’électricité dont ils avaient besoin, à des tarifs bon marché.

Avons-nous oublié cet épisode de notre histoire ?

Au début des années 60, le cabinet Diefenbaker examina la question et se prononça en faveur de la création d’un réseau national qui relierait les deux océans et « devrait permettre de faire des économies substantielles ». Merrill et June Menzies, le tandem d’économistes, mari et femme, qui conseillait Diefenbaker appuya le projet de créer un réseau électrique pan-canadien afin « d’unifier encore davantage le Canada, de permettre une meilleure utilisation de nos autres ressources et d’assurer une meilleure répartition de notre richesse. » Diefenbaker convoqua une conférence fédérale-provinciale sur la question en 1962, et compara un réseau électrique national au chemin de fer transcontinental, au système aérien pan-canadien et aux réseaux de radio et de télévision transcanadiens, lesquels contribuent tous « à cimenter le pays encore davantage ».

La résistance des provinces au projet et la décision du gouvernement Pearson de privilégier les exportations plutôt que la politique nationale donnèrent le coup de grâce au projet, et nous en voyons les conséquences aujourd’hui. L’Ontario a opté pour la solution nucléaire. Le Québec a refusé à Terre-Neuve le droit de faire passer l’électricité de Churchill Falls sur son territoire, tandis que la Colombie-Britannique et le Manitoba ont connecté leurs systèmes aux services publics américains. Les provinces exportatrices ont négocié chacune leurs propres arrangements avec les États-Unis, si bien que plusieurs provinces canadiennes ont aujourd’hui des liens plus étroits avec les réseaux américains qu’entre elles. (C’est encore plus vrai de l’Ontario, puisqu’un problème survenant aux États-Unis peut provoquer la paralysie de tout le système d’approvisionnement électrique de la province.) Les excédents provinciaux sont orientés vers les marchés continentaux plutôt que vers le marché national : l’Ontario en a fait la pénible expérience le mois dernier. Et nous n’avons toujours pas de réseau électrique national intégré au Canada.

Dans un livre important, White Gold - Hydroelectric Power in Canada, Karl Froschauer indique que le Canada exporte moins de 10 % de sa production d’électricité, mais qu’il privilégie indûment les exportations, au détriment de ses propres besoins. (En 1990, par exemple, il a exporté moins de 5 % de sa production d’électricité.) Malgré cet état de choses, certains fournisseurs provinciaux se placent volontairement sous le coup de la loi américaine et scindent leur organisation en deux : la production électrique, d’une part, et la distribution, d’autre part, afin de se conformer aux règlements de la U.S Federal Energy Regulation Commission (FERC).

Par manque de volonté politique, nous exportons notre électricité et nous abandonnons à des entités étrangères le contrôle de nos services publics provinciaux, et ce, sans même nous assurer que les besoins des Canadiens sont satisfaits.

Un ministre des Finances conservateur, Sir Henry Drayton, prédisait déjà dans les années 20 que « l’électricité exportée est perdue à jamais ». Le premier ministre libéral McKenzie King n’hésitait pas, lui, à affirmer que « l’électricité... doit être utilisée dans le Dominion, afin de stimuler l’industrie canadienne et de développer les ressources naturelles ». Huit décennies plus tard, l’avertissement n’a toujours pas été entendu et la promesse ne s’est toujours pas concrétisée.

Le mois dernier, la province la plus industrialisée du Canada a vécu l’expérience traumatisante de se retrouver plongée dans le noir ; la plus grande ville du pays et la capitale nationale ont été complètement paralysées. Il est donc impératif de créer sans tarder un réseau national intégré qui garantira que les Canadiens et leurs industries, de Terre-Neuve à Victoria en passant par le sud de l’Ontario, disposeront d’un approvisionnement régulier et constant, à des tarifs abordables. (Une panne d’électricité en été est une expérience coûteuse et inconfortable, mais si cela devait se produire en hiver, l’expérience serait tragique.)

Bon nombre d’études fiables démontrent que l’implantation d’un réseau national intégré aurait des avantages indubitables : plus grande sécurité des approvisionnements, de sorte qu’aucune région du Canada n’aurait à craindre une panne causée par une pénurie d’électricité; moins de pollution, car l’électricité produite par les centrales polluantes pourrait être remplacée par l’hydro-électricité, plus propre, à partir des centrales déjà existantes ; moins de nouvelles centrales électriques à construire car l’étalement des heures de pointe selon les cinq fuseaux horaires canadiens permettrait une meilleure utilisation de la production actuelle. (Certains auteurs bien informés prétendent que les économies entraînées par la réduction de la capacité suffiraient à financer la construction du réseau national d’un océan à l’autre.)

Un autre avantage moins tangible, certes, mais tout aussi réel, serait un sentiment de plus grande sécurité, un rapprochement entre tous les Canadiens, dont parlait Diefenbaker avec tant d’éloquence il y a une quarantaine d’années.


David Orchard est l’auteur de Hors des griffes de l’aigle : Quatre siècles de résistance canadienne à l’expansionnisme américain. Il a récemment été candidat à la direction du Parti conservateur fédéral, et exploite une ferme à Borden, SK. On peut le joindre par téléphone : (306) 664-8443, ou par courriel : davidorchard@sasktel.net

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